Par André Wielemans
Aujourd’hui retraité, en 1972 André Wielemans était un jeune professeur à l’établissement qui s’appelait alors « CND », Collège Notre Dame de Gitega. M. Wielemans, raconte que ce livre a ravivé ses souvenirs. Marqué à jamais par ce qu’il a vécu cette année, il nous partage les réflexions inspirées par la lecture de « Hutsi, au nom de tous les sangs » .
J’ai lu d’une traite, avec une émotion certaine, ce témoignage lucide et profond consacré aux traces indélébiles laissées dans le cœur d’Aloys Niyoyita par la perte brutale de son père, victime des massacres qui ont eu lieu au Burundi en mai 1972.
Certes, c’est l’histoire d’une seule famille, mais des milliers de drames similaires ont été vécus à l’époque. La tragédie de 1972 demeure aujourd’hui encore l’origine de bien des malentendus, et la source de méfiance, de brutalité et d’ignorance pure et simple des droits humains au sein de la société burundaise.
Il a fallu beaucoup de courage en même temps qu’une certaine dose de naïveté à Aloys pour ainsi se dévoiler pathétiquement, voire impudiquement, et étaler son ressenti ce qui est tellement éloigné des habitudes rundi.
Bien sûr, les jeux de pouvoir et la conscience politique sont le fait d’une frange limitée de la population, celle qui a étudié, celle qui est relativement aisée, celle qui vit en ville, loin des rugos dispersés sur les collines, où les paysans veulent surtout vivre en paix, cultiver en suffisance pour nourrir leur famille et envoyer leurs enfants à l’école.
Mais c’est précisément cette élite intellectuelle qui a été éradiquée en 1972, et qui malgré des efforts et de la bonne volonté, n’a jamais pu appliquer durablement les résolutions qui avaient tenté de normaliser les relations entre les Barundi. C’est d’autant plus choquant qu’un riche droit coutumier avait depuis des siècles pu régler les rapports entre les gens d’ethnies différentes, sans qu’ils doivent en permanence vivre avec le fléau de la « vendetta », cette vengeance haineuse qui mène à la mort, aux déplacements de personnes et au malheur des survivants.
Je mesure le poids terrible de certaines des constatations d’Aloys sur la passivité des victimes convaincues de leur bon droit et de leur innocence, car j’étais moi-même plongé au cœur des événements en 1972, jeune professeur dans un collège « de l’intérieur ». Nous ne pouvions pas croire à l’étendue des massacres, à la barbarie des disparitions de nos jeunes élèves de 18 ans, à la brutalité des représailles dictées par le « racisme » et le « tribalisme » – selon les mots de notre unique source d’information possible, la « Voix de la Révolution » qui ne faisait rien pour éteindre l’incendie. Les motifs de la violence étaient d’ailleurs parfois beaucoup plus sordides : orgueil, jalousie, envie, rivalités domestiques…
Aloys a raison d’appeler à une nouvelle forme de réconciliation. Il faut croire à la fin possible des traumatismes dictés par la peur, le lourd silence, le poids du sang versé. « Tous ces morts sont morts pour rien ».
Les témoignages comme le sien sont d’autant plus forts qu’ils sont –hélas- rares. Il utilise les mots de la raison : « amour », « pardon », « oubli ». Puisse son exemple inspirer, depuis son lointain exil, beaucoup de ses compatriotes à vouloir rebâtir une nation dans l’espoir et la paix.