Par Blaise (Baconib) Nijimbere
Depuis l’indépendance , le peuple burundais a vécu de nombreuses crises sanglantes qui lui ont laissé des blessures physiques et psychologiques. La paix a été toujours éphémère. L’arrivée au pouvoir de Pierre Nkurunziza, « très pieux » ou « born again », et son parti, le Cndd-Fdd, a été vécue dans l’allégresse. Celle-ci n’a pas duré longtemps. Il a fallu une seule année pour montrer que le mal était toujours là. L’auteur cite, entre autres, le choc du massacre de Muyinga de 31 civils soupçonnés de soutenir le FNL d’Agathon Rwasa (encore dans le maquis) en 2006. Un an seulement après l’ arrivée au pouvoir du CNDD-FDD en 2005.
Dans ce livre de plus de 150 pages, Armel-Gilbert Bukeyeneza nous parle d’une « osmose politique-religion » qui a caractérisé l’ancien couple présidentiel. En effet, tout au long de son règne, le couple présidentiel n’a cessé de faire recours à l’invocation divine. Au fil du temps, on a assisté à l’organisation des séances de prières et des croisades ici et là ; on a entendu des « révélations » de la part du couple présidentiel lui-même et de certains collaborateurs du président ou membres de son parti politique.
Pendant ce temps, les crimes, l’injustice, la corruption, la crise politique, socio-économique et humanitaire, etc. ne cessaient de s’aggraver partout dans le pays. Pourtant, les slogans des cadres au pouvoir étaient, tantôt « tout va bien, Dieu nous protège », tantôt « c’est la volonté divine » (sic !)… Cette dérive religieuse portée par « les Nkurunziza », que l’auteur qualifie de « fanatisme spirituel et l’amateurisme en leadership politique », s’est ainsi insinuée dans la vie du pays et s’ est imposée comme une stratégie politique de gestion des masses.
Armel-Gilbert Bukeyeneza suit donc cette lente dérive religieuse depuis la rébellion jusqu’à la multiplication des croisades et des sessions de prières qui ont occupé un temps considérable l’activité de l’ancien couple présidentiel. Des témoins clés de cette dérive sont cités dans ce livre. Et tandis que certains le vénéraient comme leur guide spirituel, d’autres accusent Nkurunziza d’avoir été complice des crimes innommables pendant son règne. Ou d’avoir fermé les yeux, tout au moins.
« Pierre Nkurunziza, c’est aussi 15 ans d’histoire, de règne et de régression, malheureusement. De 2005 à 2020, la marche promise vers la lumière s’est muée en un long chemin épineux. Avec des centaines des milliers de Burundais de nouveau en exil, des milliers d’autres emportés par la crise de 2015, la menace imminente de rechute dans les replis identitaires. Pierre Nkurunziza, laisse un pays au gouffre après 15 ans de pouvoir », regrette l’auteur du livre.
C’est un livre d’une très grande importance historique et facile à lire. Il m’a fallu quelques heures pour le terminer. Et contrairement à ce que laisserait penser le titre du livre, l’auteur ne traite pas uniquement le thème de la religion, il évoque, d’une façon chronologique, plusieurs grands crimes qui ont marqué les trois mandats présidentiels de Nkurunziza.
Il est très important également de souligner que l’auteur met en lumière une thématique très intéressante que peu de gens osent traiter : la compatibilité entre la démocratie tant espérée par les Burundais et une sorte de théocratie qui ne dit pas son nom et qui a été imposée par l’ancien couple présidentiel.
Bien qu’une grande majorité des Burundais croie en Dieu, quelle que soit leur appartenance religieuse, la République du Burundi a été toujours définie comme une République « laïque ». Ainsi, la Constitution de 2005 issue de l’Accord d’Arusha ne faisait pas mention de Dieu dans ses articles.
« C’est peu à peu, insensiblement d’abord, puis de façon de plus en plus ouverte, que Dieu est devenu l’élément central de la vie publique burundaise, au point d’être cité quatre fois dans l’actuelle Constitution de 2018, y compris dans son préambule très explicite : ‘’conscients de nos responsabilités devant Dieu … », écrit le journaliste Jean-François Bastin, qui a préfacé le livre.
« À vrai dire la Constitution burundaise est piégée, ajoute Jean-François Bastin, prise en contradiction entre son 1er article qui définit la république comme « laïque » et les articles 107, 126 & 138 qui exigent les plus hautes autorités qu’elles prêtent serment devant Dieu. » Cette contradiction est l’un des signes les plus évidents de l’absence d’un État de droit au Burundi.
« Un lourd héritage »
Selon l’auteur, le nouveau président, Évariste Ndayishimiye porte « un lourd héritage » de son prédécesseur, Pierre Nkurunziza. Le choix lui appartient de le solder ou bien rester prisonnier de ce lourd héritage. Je vous partage, pour terminer, un extrait de l’épilogue qui ressemble à un message adressé au président Evariste Ndayishimiye.
« Le fait est qu’une page est tournée. Le Burundi a un nouveau président, c’est peut-être une bonne nouvelle, quoiqu’il soit issu du même parti et même sérail. Il a été élu sur fond de dénonciations de fraudes, certes, mais le débat semble autre aujourd’hui. Même le challenger malheureux donne l’impression d’avoir avalé la pilule. Agathon Rwasa est devenu assez silencieux. Le souci de l’alternance l’a visiblement emporté sur celui de la transparence. Le moins rassurant des nouvelles est que le changement de visage ne signifie pas forcément le changement de gouvernance. Les Burundais sont partagés entre fatalisme classique et optimisme relatif. Toutefois, le nouveau président a déjà émis de signaux positifs. […].
Le nouveau président a du travail en perspective. Les défis sont énormes, pas moins que les attentes. Affirmer que le Burundi a échoué à enrayer le cycle infernal de la violence depuis plus de 50 ans ne serait qu’un euphémisme. Tous les régimes ont tué, sans qu’il y ait aucune forme de justice ou presque, l’impunité s’est érigée en règle d’or. Le Cndd-Fdd, parti présidentiel, traine de lourdes années de pouvoir, chargées en dossiers de sang. La jeunesse du parti, les Imbonerakure, a fini par être qualifiée de milice par les Nations Unies. Cet héritage pèse sur Evariste Ndayishimiye. Le soldera-t-il ou en sera-t-il prisonnier ? Le choix lui appartient. Le moins que l’on puisse suggérer est que sans justice, il sera encore difficile d’avancer. […]
Le nouveau président est en place pour 7 ans. Il est trop tôt pour le juger, mais il est temps pour lui de donner les signes clairs de ses intentions, de faire nettement la part des choses, politiques et religieuses, et de prouver qu’il peut user de son pouvoir autrement que tous ses prédécesseurs. »
Je remercie énormément l’auteur de ce magnifique livre historique et l’éditeur pour le travail accompli pour nous et pour les générations futures. Un livre à lire absolument !