OPINION
« Ma vérité sur l’assassinat de Ndadaye, du Général de Brigade Joseph Rugigana »
Un miroir douloureux
Par B. Claude NTAHUGA
Il est 3h47 du matin, et je viens de terminer la lecture de Ma vérité sur l’assassinat de Ndadaye du Général de Brigade Joseph Rugigana. Malgré la fatigue, il m’était impossible de poser ce livre avant d’en connaître chaque mot. Ce témoignage n’est pas simplement un récit d’événements ; il s’inscrit dans un devoir de mémoire pour le Burundi, où l’histoire récente est marquée par des douleurs profondes, des pertes immenses et des silences trop longs.
Le livre retrace cette nuit tragique du 20 au 21 octobre 1993, où le président démocratiquement élu, Melchior Ndadaye, fut assassiné dans le camp militaire qui abritait sa garde présidentielle. Pour ceux qui, comme moi, ont vécu cette période difficile, ce récit est un miroir douloureux de souvenirs qui ont marqué chaque Burundais. Ce témoignage permet de comprendre non seulement les faits, mais également les choix et dilemmes que chaque acteur a pu affronter dans un contexte d’extrême tension.
Ce livre répond à une attente, car il éclaire des zones d’ombre longtemps dissimulées sous une chape de silence et de peur. À l’époque, le général Rugigana m’avait confié, lors d’une rencontre en 2005 à Bujumbura avec notre ami commun Jean-Marie Vianney Kavumbagu, qu’il était difficile de témoigner avec les menaces qui pesaient toujours. Je lui avais suggéré d’écrire, même si cela devait rester pour ses proches et être publié de façon posthume. Aujourd’hui, je suis heureux qu’il ait fait ce pas, malgré les risques. Dans un pays comme le Burundi, où chaque famille porte le poids des traumatismes du passé, ce témoignage est essentiel. Lors de la présentation du livre à Bruxelles, une amie, Christella Ingabire, a exprimé à juste titre : « Si j’étais ta fille, je serais fière de toi, car je n’aurais pas à porter le poids de cette histoire. »
L’importance de ce témoignage ne réside pas seulement dans le récit des faits, mais aussi dans sa capacité à libérer la mémoire collective. Depuis l’assassinat de Ndadaye, le Burundi a été marqué par la rhétorique selon laquelle le président aurait été tué par une armée tutsi uniquement parce qu’il était Hutu. Cette perception a maintenu les divisions et la méfiance entre les communautés burundaises pendant des décennies. Grâce au récit du Général Rugigana, les responsables sont identifiés, et la responsabilité collective des Tutsi est remise en question. Il libère ainsi les jeunes générations d’une culpabilité injuste, permettant à chacun de se détacher des stigmates de cette nuit tragique.
Un témoignage précieux, mais un récit à approfondir
Malgré la force de ce récit, il lui manque un certain souffle narratif. Les descriptions de cette nuit sont factuelles, sans fournir au lecteur des détails immersifs, ce qui pourrait limiter la compréhension des émotions et des ambiances pour ceux qui n’ont pas vécu cette époque. Un lecteur non initié pourrait peiner à ressentir l’ampleur de la tragédie et la tension palpable de ces lieux. Des descriptions plus vivantes, des sons de la nuit ou des sensations vécues auraient pu renforcer l’impact du témoignage.
Le livre reste aussi distant sur le plan émotionnel. Le Général Rugigana expose les faits, mais s’ouvre peu sur ses ressentis : la peur, la confusion, la tristesse. Une telle connexion émotionnelle aurait aidé le lecteur à partager l’intensité de ce moment et, au-delà, à mieux saisir l’impact de ces événements sur le Burundi. Cependant, nous pouvons comprendre ce côté direct et factuel, qui est souvent propre au caractère des militaires.
L’importance de témoigner pour la reconstruction de la mémoire burundaise
Malgré ses limites formelles, le témoignage du Général Rugigana est un acte courageux et précieux pour le Burundi. Il rappelle la nécessité pour chaque Burundais de raconter son histoire, de partager ce qu’il a vu et vécu. Le poète nigérian Ben Okri écrit : « Raconter nos histoires est une manière de construire notre humanité collective et de donner un sens à notre passé ». En offrant son récit, Rugigana invite les autres témoins de l’histoire du Burundi à sortir du silence et à transmettre leurs expériences, contribuant ainsi à reconstruire une mémoire collective plus juste et plus nuancée.
Les écrits de Primo Levi, survivant de l’Holocauste, soulignent également combien il est vital de témoigner des tragédies passées. Dans Si c’est un homme, Levi insiste : « Celui qui oublie son passé est condamné à le revivre ». Pour les Burundais, transmettre ces récits est un moyen de prévenir la répétition des erreurs tragiques du passé et de construire un futur basé sur une compréhension mutuelle et une réconciliation profonde.
Un appel aux Burundais : écrire pour la postérité
En Afrique, on dit qu’« un vieillard qui meurt est comme une bibliothèque qui brûle ». Cette métaphore prend un sens poignant au Burundi, où de nombreuses « bibliothèques » ont été détruites par les conflits récents, emportant avec elles des fragments d’histoires précieuses. Pour ne pas laisser cette mémoire s’éteindre, il est essentiel que d’autres Burundais prennent le relais du Général Rugigana et témoignent à leur tour.
Dans une société marquée par les blessures de son passé, le témoignage de chacun est un pilier sur lequel se construit une histoire commune. Ce récit, et d’autres à venir offrent aux jeunes générations la possibilité de connaître et de comprendre leur histoire, au-delà des clivages ethniques et des préjugés. Il est temps de préserver ces voix, d’écrire nos pages pour qu’elles éclairent le futur et apportent une paix durable. Puissions-nous tous nous inspirer de ce courage et suivre cet exemple en racontant nos histoires, pour que les « bibliothèques » du Burundi continuent de vivre, à jamais.
Avec respect et fraternité,
Fabien NDAYISHIMIYE
Je ressens un immense désir de puiser dans cette source qui pourrait m’offrir l’espoir qu’un jour, justice sera rendue pour les actes odieux commis au Burundi, quel que soit le moment. De nombreux politiciens feignent d’ignorer la vérité, mais ils la connaissent bien, c’est juste que leurs intérêts personnels les empêchent de la révéler ou de prendre position. Cependant, ce livre éclairera beaucoup parmi la nouvelle génération, et en particulier ceux qui n’ont pas vécu cette période, aussi douloureuse soit-elle.
parlons-en
Merci
Ese these umwe were yovuga ngira hokira imitima yururwaruka rushasha mbona narwo umengo rwaje rushushe nkurutazi ivyabaye ningaruka vyagize kugihugu.
Bravo à ce brave Mr
Dr Mozart M. W. Wilondja
Il est vrai que je n’ai pas encore acheté ce « must-read » mais je trouve que le contenu est profond, passionnant et bien soutenu.
Merci beaucoup pour le partage de ces grandes lignes.