Antoine Kaburahe vient de signer son meilleur livre avec son récit sur la tragédie de 1972, année cauchemar de l’histoire du Burundi dont l’impact négatif continue de se propager sur le présent.

Aloys Niyoyita, le personnage central du livre, résume à lui tout seul la tragédie indicible de ces enfants à qui on a arraché leurs parents. Son père Robert Kanyarushatsi, instituteur à Gisanze dans ce Burundi profond où il dispense les lumières du savoir, se fait convoquer à la province de Muyinga en ce mois de mai 1972. Il ne reviendra jamais à la maison.

Ceux de ma génération reconnaîtront cette histoire que chacun de nous a entendue à maintes reprises. Un souvenir. L’un des meilleurs amis de mon père passe chez nous un soir et mes parents le persuadent de rester et lui proposent de l’héberger. Il refuse et rentre chez lui où deux policiers l’attendent pour le conduire à Mpimba…

Sur le plan personnel, cet homme je le considérais comme un oncle. Après l’arrestation de mon père début 1965, il m’avait spontanément reçu dans sa famille pendant quelques temps durant lesquels il avait traité le jeune adolescent que j’étais avec bonté et bienveillance, comme son fils. Son intervention a changé le cours de mon destin en me permettant de poursuivre normalement mes études à l’Athénée Royal de Bujumbura.

C’est un livre poignant comme le récit de cette douleur indescriptible de cette mère et épouse à la recherche de son mari disparu devant les fonctionnaires impassibles et indifférents. Voltairien, je n’ai jamais cru en la bonté naturelle de l’homme, chère à Rousseau, devant l’ampleur de la méchanceté de la nature humaine. Comment comprendre ce déferlement de haine dans cette société burundaise qui a cultivé le concept d’Ubuntu, cette forme d’humanisme qui a réglé nos rapports sociaux depuis des temps immémoriaux ?

« 1972 n’a laissé personne indemne. Après les pères cueillis dans la fleur de l’âge, de jeunes femmes, l’année en a fait des veuves ». Et laissé les orphelins revanchards qui vont à leur tour perpétuer la haine et la vengeance pour culminer avec le massacre des milliers de Tutsi innocents en octobre 1993.

A travers Aloys, l’auteur décrit dans un style sobre et captivant, l’histoire du Burundi à travers son itinéraire jusqu’à ce jour. « J’ai peur pour mon pays ? Qu’est-ce que nous allons léguer à nos enfants ? La peur et la haine ? L’exil et la misère des camps de réfugiés ? La question est là, elle est posée à tous les Burundais, toutes ethnies confondues.

Le livre devrait figurer comme une référence incontournable dans les manuels d’histoire pour rappeler à la jeunesse burundaise qu’il y a encore l’espoir à condition de sortir du déni devant les crimes commis dans le passé par les Hutu et les Tutsi. « Malgré ses imperfections, l’Accord d’Arusha avait permis aux Burundais de faire un grand pas sur le chemin de la réconciliation grâce au dialogue ».

C’est la seule manière de retrouver la paix et ainsi de rendre hommage à Nelson Mandela, sans qui cet Accord n’aurait jamais pu être signé. Il avait fallu son autorité pour imposer sa vision à une classe politique burundaise déchirée et divisée. L’icône planétaire avait réussi là où Nyerere aurait probablement échoué.

Les Burundais ont besoin d’une thérapie

Le fils de Robert Kanyarushatsi se pose la question que tous les Burundais se posent : « Au fond, quel Burundais est vraiment sain ? C’est une question de degré, je pense ».

La société burundaise a besoin d’une thérapie personnelle et collective pour nous remettre sur le chemin de la normalité pour retrouver les valeurs d’Ubuntu et de justice sur lesquelles le Burundi a bâti la nation au cours des siècles. Pour donner à la jeunesse autre chose que les discours démagogiques, les Burundais attendent un leadership visionnaire qui les projetterait vers la modernité et le progrès grâce aux immenses talents de son peuple et spécialement de la diaspora dispersée désormais aux quatre coins du monde, qui nous sortirait de nos « identités meurtrières. »

Bravo à Antoine Kaburahe pour ce bijou littéraire et historique offert au public burundais. Il fait œuvre de pionnier en tant qu’éditeur, un métier difficile même dans les pays où le taux de lecture est élevé. Une grande contribution au développement de la culture et de l’histoire du Burundi par la publication des livres de témoignage dans cette belle collection « Témoins. »

*Prime Nyamoya est économiste de formation. Il a derrière lui une longue carrière de professeur d’université et de banquier. Actuellement il vit au Canada.