Hommages à Madame Douce Lydia ININAHAZWE pour avoir livré son témoignage sur ce qu’elle a vécu à partir de neuf ans. Le 22 octobre 1993, la foudre s’abat non seulement sur le ménage du Gouverneur de Province de Karuzi, Englebert SENTAMO mais aussi sur la famille du Président NDADAYE, sur bon nombre de familles des leaders du FRODEBU et sur des familles de Batutsi victimes de folie meurtrière d’alors.

Un homme éclairé, engagé Monsieur SENTAMO a su se ranger du côté de l’histoire du changement de sa société biface. Conscient du passé, il opte pour une action salvatrice tout en ne minimisant pas la risque d’y perdre la vie. Répondant à l’inquiétude de son épouse, SENTAMO n’hésitera à dire qu’au-delà de la prison, la mort n’était pas à exclure. Dans son âme et conscience, il a accepté le plus grand supplice au nom de la liberté, au nom de la démocratie, au nom du bien des siens et au nom du peuple burundais. En toute dignité, SENTAMO, a été abattu par ses gouvernés, enragés, déçus par le renversement des situations politiques.

Le malheur de certains Burundais étant de croire que la source de leur confort restera inamovible même si c’est au détriment de leurs concitoyens. Dans son témoignage, Douce, comme sa mère aime l’appeler, ne cache pas sa douleur physique, morale et psychologique et se souviendra le long de son calvaire au Rwanda, au en République Démocratique du Congo, en Tanzanie de l’engagement de son père, son idole, son idéal, sa source de résistance aux aléas de la vie. A –t-elle compris que mourir pour un idéal est une autre façon de s’immortaliser, de se rendre éternel comme dirait Antoine de Saint Exupéry dans son Vol de nuit (1931)?  Lydia expérimente les affres d’une société biface dichotomisée autant sur le plan ethnique que sur le plan idéologie. Des idéologies qui se transmette la nui et qui s’expriment des fois avec réserves, des fois avec horreurs et abjection dans ce monde immonde.

Autant comme Bardamu le héros du Voyage au bout de la nuit (1932) de L-F. Céline, Douce voyage des journées et des nuits entières, côtoyant les bons et les méchants de tous bords telle ment qu’elle aboutit à sa propre conclusion : « Tous les Bahutus ne sont pas mauvais, tous les Batutsi ne sont pas mauvais non plus. Comme Tutsie, j’ai vu que ce sont des tutsis qui ont tués mon père et mes deux frères, pourtant tous Tutsis. Pourquoi ? La différence idéologique ? Ah oui ! Chez nous, on meurt encore pour des raisons ethniques mais Lydia deviendra orpheline à cause des raisons idéologiques. Oui. Elle raison. Autant des Bahutus de l’UPRONA et du FRODEBU se haïssaient, Batutsis de l’UPRONA et du FRODEBU se haïssaient même à mort. Elle fait le constat amer qu’au Burundi, au Rwanda, en RDC, en Tanzanie la haine ethnique se sent et se vit en produisant des scènes d’horreurs et l’abjection différemment jugées selon l’appartenance à tel ou tel camps. Dans de telles sociétés, il y a absence d’amour patriotique, une négation de l’Ubuntu, une négation de soi par ricochet. Et Julia Kristeva de renchérir : « Toute abjection est en fait reconnaissance du manque fondateur de tout être, sens, langage, désir ». La même auteure conclut que « l’abjection nous confronte à ces états fragiles où l’homme erre dans les territoires de l’animal ». Pouvoirs de l’horreur, Essai sur l’abjection (1980).

Malgré cette traversée, Lydia garde la tête hors de l’eau grâce à l’inspiration d’un papa idéal, qui est mort pour un idéal : Une société juste, réconciliée avec elle-même. De son vivant, SENTAMO n’a pas vu se réaliser son rêve mais ses enfants dont Lydia ou ses petits-enfants vivront une telle société et reconnaitront à la juste valeur le sacrifice de leur papa, un héros, aujourd’hui non chanté. La semence semée portera ses fruits et la démocratie renaitra de ces dépouilles de beaucoup d’Anglebert tombés par-ci, par-là

Merci Lydia de ton témoignage. Que ce livre vibre telle une onde et attire l’attention des générations futures qui devront s’en inspirer pour reconquérir, comme peuple, l’Ubuntu, ciment du patriotisme et d’une société digne dans la Région des Grands Lacs.

F. BAMVUGINYUMVIRA